Naissance et création de l’Université d’Orléans
Si l’existence de l’université d’Orléans a été officialisée en 1306 par le pape Clément V, l’histoire de l’enseignement dans la ville ligérienne remonte à l’époque carolingienne. L’enracinement de cette tradition associé à une nouvelle manière d’enseigner le droit contribuent à faire d’Orléans une école de droit puis une université de droit réputée dans toute l’Europe médiévale et moderne.
L’enseignement à Orléans avant 1306
En l’an 1306, l’université d’Orléans voit le jour : le pape Clément V dote cette ville de ses premiers statuts universitaires. Cette université n’est pas, à l’instar de nombreuses universités européennes, une création ex nihilo. Elle s’établit sur une longue tradition d’enseignement dispensé principalement, à Orléans comme ailleurs, par l’école cathédrale.
Il est admis que l’école cathédrale d’Orléans a été fondée au IXe siècle par l’évêque Théodulfe, proche conseiller de Charlemagne. Cette école, au XIIe et au début du XIIIe siècle, est réputée. Elle est considérée au même titre que les écoles de Paris, Bologne ou Salerne dispensant des enseignements basés, respectivement, sur les arts libéraux, le droit, la médecine. A Orléans, les matières prépondérantes sont à cette époque la grammaire et la poésie latine, bien que le droit y soit déjà enseigné.
L’impossible apprentissage du droit romain à Paris
L’enseignement du droit romain est associée de manière pérenne à Orléans, à la faveur de deux événements ayant eu lieu à Paris au début du XIIIe siècle. En 1219, la bulle « Super Speculam » du pape Honorius III paraît. Elle interdit l’enseignement du droit romain dans les écoles de Paris :
« nous interdisons formellement et nous défendons rigoureusement qu’à Paris, ou dans les villes ou dans les lieux voisins, quelqu’un ose enseigner le droit civil ou en suivre les leçons. Que celui qui contreviendra à cette interdiction, non seulement soit exclu pour l’instant de la défense des causes, mais encore, qu’après citation par l’évêque du lieu, il soit enchaîné par le lien de l’excommunication1».
1Les étudiants de Paris à l’Université des Lois d’Orléans. Dans : http://droiticpa.eklablog.com [en ligne]. juin 2017.
Avec cette bulle, la papauté oblige les écoles parisiennes à dispenser un enseignement établi exclusivement sur la théologie et le droit canonique. Honorius III craint, en effet, que l’apprentissage du droit romain ne détourne maîtres et étudiants parisiens de cette tâche.
Quelques années plus tard, entre 1229 et 1231, après plusieurs grèves, des maîtres quittent les écoles parisiennes pour gagner différentes villes comme Orléans et Angers.
Le conflit entre la théologie et le droit romain qu’induisent ces deux événements est à l’origine du développement de l’enseignement du droit romain à Orléans. Celui-ci est officialisé en 1235 par une bulle du pape Grégoire IX. Elle confirme la bulle « Super Specula » interdisant l’enseignement du droit romain à Paris et dans les villes voisines. Elle accorde néanmoins une exception à la ville d’Orléans.
A partir de cette date, l’apprentissage du droit romain n’est plus le fait de l’école cathédrale orléanaise, car les maîtres nouvellement arrivés dans la ville fondent leurs propres écoles. Ces écoles de droit supplantent l’université de Bologne, référence en matière d’enseignement juridique jusqu’alors.
L’enseignement du droit à Bologne
Au XIIe siècle, l’université de Bologne est le centre d’apprentissage du droit. Elle dispense un enseignement dont la qualité est reconnue dans toute l’Europe médiévale. Le conflit appelé la Querelle des Investitures qu’il faut replacer dans le contexte de la réforme grégorienne opposant la papauté au Saint-Empire Romain nécessite un important recours au droit. Cette lutte pour le pouvoir entre la papauté et l’Empire, forces aspirant à la domination, stimule l’efficience de cet enseignement.
C’est dans le cadre de cette réforme qu’à la fin du XIe siècle, à Bologne, les Compilations du code de Justinien sont redécouvertes. Les compilations justiniennes, datées du VIe siècle et rédigées à la demande de l’empereur byzantin Justinien, sont constituées du code justinien, du digeste, des institutes et des novelles. Ces quatre ouvrages forment les piliers de la connaissance du droit romain, c’est-à-dire du corpus iuris civilis. Les Compilations sont étudiées dans cette université et le caractère sophistiqué et moderne du droit romain apparaît.
Dans ce climat d’effervescence intellectuelle, au début du XIIIe siècle, un maître bolonnais, dénommé Accurse entreprend de faire une synthèse des gloses précédentes portant sur l’intégralité des Compilations du code de Justinien. Ce travail appelé Grande Glose ou Glose ordinaire regroupe 96 000 gloses antérieures. Grâce à ce labeur l’entièreté du Corpus iuris civilis est réunie, abordée et explicitée.
Cette œuvre de longue haleine est novatrice et consacre la prédominance de Bologne en matière d’enseignement juridique. L’apogée de cet enseignement donné par les Glossateurs dure plusieurs décennies. Toutefois, à partir de la seconde moitié du XIIIe siècle, la glose ou l’interprétation littérale, paraît comme une doctrine figée et lourde. Elle semble incapable de s’adapter à de nouvelles réalités juridiques.
Des maîtres (comme Guido de Cumis ou Pierre Peregrossi) quittent alors cette université pour l’école de droit d’Orléans. Là, grâce aux maîtres ayant quitté Paris entre 1229 et 1231 et à cet afflux de maîtres italiens, Orléans devient l’école en pointe en matière juridique.
A Orléans, un apprentissage nouveau riche de conséquences
Une nouvelle manière d’apprendre le droit y est mise en place : le commentaire. Cette nouvelle méthode se décline en quatre points :
- Utilisation de la logique et de la linguistique,
- Approche critique des textes, vérification des sources,
- Utilisation du droit canonique et de la coutume pour commenter le droit,
- Enseignement assuré par des praticiens du droit. Cet enseignement prend en compte l’utilisation du droit en dehors des murs de l’université1.
Avec cette nouvelle méthode, l’apprentissage du droit se transforme. L’explication de texte laisse place aux commentaires grâce à l’introduction de la dialectique. Cette technique est développée par les maîtres orléanais dénommés les Postglossateurs. Les plus connus d’entre eux sont Jacques de Révigny et Pierre de Belleperche. Le premier enseigne de 1260 à 1280 avant de devenir archidiacre de Toul, puis évêque de Verdun en 1289. Le second enseigne de 1280 à 1296 à Orléans. Il entre ensuite au service du roi, devient évêque d’Auxerre et chancelier de France.
Grâce à cette évolution dans les manières d’enseigner, Orléans devient le plus important centre d’étude du droit. Ce dernier est consacré par le pape Grégoire IX qui, en 1235, autorise par une bulle cet enseignement et crée un studium, un lieu d’accueil d’étudiants venant de tous les horizons
1BASSANO, Marie. Introduction historique au droit L’émancipation et l’influence des droits savants. Dans : Université Numérique Juridique Francophone [en ligne]. 2014.
Ce centre rayonnant fournit aux administrations royale et papale des légistes particulièrement bien formés. Qu’ils soient maîtres ou étudiants, le passage dans cette école leur confère de brillantes carrières. L’école de droit d’Orléans et ensuite l’université a, par conséquent, formé des cadres de l’administration du royaume et de l’Église. Elle a été à la fois une école d’administration et la faculté de droit romain de Paris, sa succursale en quelque sorte. Ainsi, parmi les différents élèves ayant appris le droit civil dans l’école d’Orléans : deux sont devenus des papes, cinq cardinaux, 37 évêques ou archevêques, 39 ont rejoint le service du roi, d’autres ont servi les grands princes de la maison royale, d’autres sont rentrés au service des rois anglais Henri III d’Angleterre et Edouard I …1
Les fondations de l’université d’Orléans
Dans les rangs de cette école, Bertrand de Got est élève à la fin du XIIIe siècle. Ce dernier accède à la dignité papale en 1305. Il devient le pape Clément V. Un an après avoir été investi à la plus haute dignité ecclésiastique, Clément V publie la bulle « Dum Perspicater« . Cet acte juridique octroie à l’école orléanaise des statuts la transformant en une université, en studium generale. Bien que cette décision entérine le rayonnement des écoles de droit orléanaises, la genèse de cette université a été longue. Elle a duré presque un siècle. Pourtant, les écoles de droit civil, notamment, bénéficiaient depuis les années 1270 d’une grande réputation.
Ces statuts procurent des privilèges aux maîtres et étudiants. Ils ne peuvent, par exemple, être jugés que par la juridiction ecclésiastique. Maîtres, écoliers et leurs domestiques sont de la sorte soustraits à la justice séculière. Les avantages judiciaires et fiscaux octroyés aux universitaires, l’autonomie dont ils jouissent les plaçant au dessus du lot commun ne sont pas bien acceptés par la population locale. Ils exacerbent les tensions et, en 1309, des émeutes opposent habitants de la cité et étudiants. En 1311, une nouvelle émeute anti-étudiants a lieu. Réunis dans le couvent des Dominicains, celui-ci est endommagé.
Le roi de France, Philippe IV le Bel, tenu en 1306 en dehors de la création de l’université d’Orléans se doit d’intervenir. Il ne peut laisser les troubles envahir cette ville située en plein cœur du domaine royal. En 1312, le roi, conscient de l’importance de l’enseignement dispensé pour former les intellectuels que requière sa bureaucratie, et de la nécessité d’apaiser la population urbaine prend plusieurs décisions. Dans un premier temps, il confirme les principaux privilèges des universitaires orléanais en rappelant qu’ils étaient sous sa sauvegarde. Dans un second temps, par lettres du 17 juillet 1312 et du 21 décembre 1312, il prend la décision de supprimer l’université, annulant de la sorte une bulle pontificale. Les universitaires perdent leurs statuts. Ils entrent de fait dans le droit commun. L’enseignement se poursuit, mais sous sa forme antérieure, celui des écoles.
Si l’apprentissage du droit continue dans la cité ligérienne, une partie des maîtres et élèves ont quitté Orléans pour Nevers, ville située en dehors du domaine royal. Cette situation perdure jusqu’en 1316 avec l’accession à la dignité papale de Jean XXII, lui aussi ancien élève des écoles d’Orléans. En 1319, il prend la décision de rétablir l’université d’Orléans. Cette tâche est confiée au cardinal Gaucelme de Jean. Celui-ci se rend à Orléans et, associé à des ecclésiastiques locaux, il s’assure du soutien du clergé local avant de remettre en vigueur la bulle « Dum Perspicater » le 23 avril 1320. Une modification importante est cependant apportée: le pouvoir confié aux étudiants est bien plus limité.
Philippe V, fils de Philippe IV le Bel, se rallie à la décision papale après avoir interrogé la population locale. Celle-ci accepte le retour de l’université, consciente des revenus et du prestige qu’elle a à gagner de la présence d’un studium generale dans leur ville.
1 BASSANO, Marie. Introduction historique au droit L’émancipation et l’influence des droits savants. Dans : Université Numérique Juridique Francophone
L’organisation de l’université d’Orléans
À l’instar des autres universités de son époque, l’université d’Orléans ne dispose pas de locaux propres. Les cours ont lieu dans des salles louées par les maîtres.
À Orléans, les enseignements sont dispensés dans des maisons situées autour de l’église Saint-Pierre-le-Puellier. Plus précisément, ces écoles se situent toutes entre les actuelles rue de l’université, rue du Pommier, rue du Puits-de-Linières, la rue du Gros Anneau et la rue des Africains. Plus tard, dans le premier quart du XVe siècle, l’espace de l’université s’étend au delà de ce secteur urbain et franchit la rue de Bourgogne. En effet, dans l’actuelle rue Pothier, la « librairie » de l’université est construite. Cette librairie constituait un lieu de dépôt de livres, une bibliothèque en quelque sorte. Ce bâtiment existe encore actuellement, il est dénommé « Salle des Thèses ». Il est le seul vestige immobilier de cette université.
Les étudiants de l’université d’Orléans comme dans d’autres universités sont réunis en « nations ». Dans la cité ligérienne, il y en avait dix : les nations de France, de Germanie, de Lorraine, de Bourgogne, de Champagne, de Picardie, de Normandie, de Touraine, de Guyenne et d’Écosse. Chaque nation devait élire un procureur. Les procureurs élisaient un recteur qui avait comme tâche d’organiser les enseignements et de défendre les privilèges des universitaires (étudiants et maîtres).
Cette page est en cours de construction. Retracer l’histoire de cette université de sa fondation jusqu’en 1793, date à laquelle elle est supprimée, nécessite un long et minutieux travail. Gageons que cette page sera enrichie ultérieurement !
On ne peut que conseiller aux lecteurs/lectrices impatient(e)s de se reporter à l’ouvrage suivant : PERTUÉ, Michel (dir.). L’Université d’Orléans, 1306-2006 : regards croisés sur une histoire singulière. Orléans, France : Presses universitaires d’Orléans, 2008. ISBN 978-2-913454-36-1.
Toutes les photos utilisées sur cette page sont libres de droit.
Vous trouverez la bibliographie utilisée pour cet article ici.
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Christophe Speroni
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